Des traceurs hydrologiques pour étudier l'aquifère local
Le pittoresque mont Fuji est un stratovolcan remarquable de par sa forme conique. Chaque année, 2,2 milliards de tonnes de pluie et de neige s'infiltrent à travers des fissures dans les parois de lave et deviennent de l'eau de source et alimentent des puits. Cette eau est consommée quotidiennement par les habitants. Les pisciculteurs, les industries telles que celle de la fabrication du papier ou des appareils électroniques, etc. dépendent également de cette ressource liquide. Pour cette raison, des scientifiques comme le Prof. Dr. Oliver Schilling travaille intensivement à comprendre l'évolution et le comportement de l'aquifère dans la région afin d'assurer sa protection.
Prof. Dr. Schilling est professeur assistant d'hydrogéologie à l'Université de Bâle et chef du groupe d'hydrogéologie des traceurs à l'Eawag. Lui et son équipe (Dre Stephanie Musy, Dr Yama Tomonaga et la doctorante Friederike Currle) combinent des techniques de mesure innovantes de marqueurs naturels avec des modèles mathématiques sophistiqués pour comprendre l'hydrogéologie complexe du système d'eaux souterraines volcaniques de Fuji. Dans cette courte interview, le Prof. Dr. Schilling explique comment ils utilisent des bactéries comme traceurs hydrologiques et utilisent BactoSense dans leurs recherches.
Dans vos travaux précédents, vous vous êtes concentré sur les traceurs physico-chimiques. Qu'apporte d'autre la surveillance des bactéries en ligne ?
Dans notre première étude, nous avons cherché des profils qui nous permettraient de savoir si les eaux souterraines d'un aquifère confiné de plus de 100 mètres de profondeur contribuaient de manière significative aux eaux souterraines peu profondes et non confinées ainsi qu'aux sources situées au pied sud-ouest du mont Fuji. Pour ce faire, nous avons combiné plusieurs techniques de traçage différentes, à savoir l'analyse des isotopes de l'hélium (pour identifier les eaux profondes enrichies en gaz du manteau), du vanadium (pour identifier les eaux profondes avec leur longue voie d'écoulement) et de l'ADN environnemental microbien (pour identifier les microbes extrêmophiles adaptés à la vie à des profondeurs/pressions considérables). Grâce à ces mesures, nous avons pu identifier les sources et les puits peu profonds qui recevaient un apport substantiel d'eau souterraine profonde. Certains des puits concernés par les eaux souterraines profondes étaient les plus grands puits utilisés pour l'eau potable. Dans le cadre de l'étude de suivi en cours, nous souhaitons à présent étendre notre cartographie spatiale des remontées d'eau souterraine profonde et quantifier la variabilité temporelle de l'afflux d'eau souterraine profonde dans les puits d'eau potable. Comme il s'agit d'une des régions sismiques les plus actives du Japon, nous nous attendons à des variations saisonnières dans la remontée des eaux souterraines profondes et à des changements associés à des événements sismiques tels que des tremblements de terre. À cette fin, nous utilisons la cytométrie de flux en ligne ainsi que des mesures en ligne des gaz (nobles) dissous.
Comment combiner la mesure de l'eDNA et du BactoSense ?
Nous surveillons en permanence l'évolution de la composition microbienne dans le puits d'eau potable à l'aide du BactoSense. Nous menons également des campagnes de mesures dispersées dans une zone donnée, au cours desquelles nous prélevons des échantillons de différentes sources et de différents puits afin de détecter une multitude de traceurs hydrologiques, y compris l'ADN environnemental microbien. Les échantillons d'ADNe sont ensuite analysés sur BactoSense et par séquençage de nouvelle génération afin de pouvoir faire correspondre les empreintes de cytométrie de flux aux informations métagénomiques/phylogénétiques.
BactoSense est conçu pour être robuste et transportable. Quelles expériences avez-vous eues dans la pratique ?
Nous avons eu une expérience formidable jusqu'à présent. Bien que nous ayons dû emporter l'instrument avec nous comme bagage enregistré normal sur nos vols entre la Suisse et le Japon, nous n'avons eu aucun problème avec la fonctionnalité de l'instrument grâce à une valise de voyage Peli bien rembourrée et à la construction très robuste du BactoSense. Il a été installé dans le puits d'eau potable en une seule journée de travail et fonctionne sans problème depuis plus de deux mois maintenant. Nous apprécions particulièrement la possibilité de contrôler l'instrument à distance.
La qualité de l'eau du mont Fuji est en déclin, comme mentionné dans votre précédente publication. Cela s’applique-t-il également à la teneur en bactéries ? Comment BactoSense peut-il aider à surveiller ce phénomène ?
Les problèmes de qualité de l'eau du Mont Fuji ne sont pas tant une question d'hygiène qu'une question de pollution agricole et industrielle et de baisse constante des niveaux d'eau dans certaines zones du bassin. Néanmoins, en raison de l’intense activité sismique dans la région et de la fréquence croissante des pluies torrentielles (nous avons déjà capturé l’impact d’un épisode de pluie de 350 mm en 48 heures), le suivi de la charge microbienne par cytométrie en flux en ligne deviendra sans aucun doute une technologie clé pour y parvenir pour garantir la sécurité de l'eau potable dans le bassin versant du Fuji.
Le mont Fuji est un point de repère. Comment vos découvertes peuvent-elles être transférées à d’autres régions ?
Oui, le mont Fuji est emblématique avec sa forme conique presque parfaite. C'est également un exemple quasi parfait de système aquifère volcanique avec une hydrogéologie très complexe, une forte activité sismique et des événements météorologiques extrêmes. C'est un bon modèle pour d'autres îles volcaniques et régions volcaniques côtières. De tels systèmes sont encore rarement étudiés d'un point de vue hydrogéologique, et nos résultats aideront à développer des techniques et des protocoles de surveillance essentiels à la gestion durable et résiliente de l'eau potable dans les zones volcaniques.
Financement :
Le projet est le fruit d'un effort de collaboration entre les groupes du professeur Oliver Schilling de l'université de Bâle et du professeur Yuji Sano de l'université de Kochi au Japon. Il est cofinancé par le Fonds national suisse et la Société japonaise pour la promotion de la science à travers leur programme scientifique et technologique Japon-Suisse (projet IZLJZ2_214048).
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